est ce faiblesse que de croire?
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est ce faiblesse que de croire?
Introduction :
S’il est un lieu commun répandu aujourd’hui, c’est que nous serions débarrassés des croyances. L’athéisme indifférent de l’homme post-moderne regarde la croyance comme un phénomène étrange qu’il tolère comme une curiosité culturelle. On fait le parallèle avec les idéologies en pensant que se débarrassant des idéologies politiques, nous avons perdu toutes nos croyances. Les nostalgiques du positivisme, ceux qui professent une attitude scientiste, diront aussi qu’avec la science moderne, nous nous sommes dégagée de la religion. En y ajoutant un peu d’anti-cléricalisme primaire, cela donne des discours du genre : L’obscurantisme du Moyen Age est loin de nous ! La science s’est érigée sur les ruines de la religion. Vive la science moderne, à bas la croyance et la superstition ! Or, c’est justement dans ce monde post-moderne, ce monde de la techno science que nous trouvons les formes de croyance les plus inattendues. A côté de la rigueur de l’approche méthodique du statisticien, du programmateur, du chercheur, il y a le domaine très vaste des croyances : l’un consulte son horoscope, à la pause café, pendant une manipulation de laboratoire, un autre , traite des ordres en bourse mais reste fidèle à sa foi chrétienne, un autre encore qui travaille dans la publicité rêve d’une convergence entre la science et sa représentation bouddhiste de l’univers, un dernier, fonctionnaire très rationnel dans son travail, se dit la science ne parvient pas à tout expliquer, et qu’il faut laisser une place à la croyance et au mythe. L'homme semble ne pouvoir se passer de croyance. Pourtant, est-ce faiblesse que de croire ?
est ce faiblesse que de croire?
Introduction :
S’il est un lieu commun répandu aujourd’hui, c’est que nous serions débarrassés des croyances. L’athéisme indifférent de l’homme post-moderne regarde la croyance comme un phénomène étrange qu’il tolère comme une curiosité culturelle. On fait le parallèle avec les idéologies en pensant que se débarrassant des idéologies politiques, nous avons perdu toutes nos croyances. Les nostalgiques du positivisme, ceux qui professent une attitude scientiste, diront aussi qu’avec la science moderne, nous nous sommes dégagés de la religion. En y ajoutant un peu d’anti-cléricalisme primaire, cela donne des discours du genre : L’obscurantisme du Moyen-Age est loin de nous ! La science s’est érigée sur les ruines de la religion. Vive la science moderne, à bas la croyance et la superstition !
Or, c’est justement dans ce monde post-moderne, ce monde de la techno-science que nous trouvons les formes de croyance les plus inattendues. A côté de la rigueur de l’approche méthodique du statisticien, du programmateur, du chercheur, il y a le domaine très vaste des croyances : l’un consulte son horoscope, à la pause café, pendant une manipulation de laboratoire, un autre , traite des ordres en bourse mais reste fidèle à sa foi chrétienne, un autre encore qui travaille dans la publicité rêve d’une convergence entre la science et sa représentation bouddhiste de l’univers, un dernier, fonctionnaire très rationnel dans son travail, se dit la science ne parvient pas à tout expliquer, et qu’il faut laisser une place à la croyance et au mythe.
L'homme semble ne pouvoir se passer de croyance. Pourtant, est-ce faiblesse que de croire ?
Développement :
I. Crédulité, superstition : du sceptique au fanatique
La croyance est donnée dans un vécu particulier et correspond dans l’attitude naturelle à une intention tournée vers un objet. Toute croyance est croyance en quelque chose. L’objet de la croyance est donné dans une expérience dans laquelle l’esprit adhère plus ou moins à une représentation. Quand il n’y a aucune adhésion, nous parlons de doute, quand l’adhésion est médiocre, nous parlons de probabilité, quand elle est entière, nous parlons de certitude. Ce flottement de l’adhésion, qui donne son caractère au jugement, est relatif à la conscience qui juge et s’identifie à sa propre construction mentale, ce qui produit un degré d’adhésion au jugement Quels sont donc les facteurs psychologiques qui interviennent dans l’adhésion qui est au fondement de la croyance ?
Tous les hommes ont en droit une même puissance de juger en examinant une représentation le plus attentivement possible. Tous les hommes sont aussi portés à croire. Cependant, savoir exercer son esprit critique est une chose qui s’apprend, qui s’exerce. La croyance elle est plus passive et plus irréfléchie. Nous sommes soumis à l’inertie du mental, inertie qui est proportionnelle à notre identification aux constructions mentales de notre propre pensée. Dans l’attitude naturelle, nous ne pouvons pas nous empêcher de croire dans nos pensées. L’inertie du mental fait que la paresse peut engourdir l’intelligence, de sorte qu’au lieu d’avoir en tête des idées justes, solidement fondées en raison, nous entretenons par habitude des idées confuses et qui n'ont pas vraiment de justification. L’habitude maintient le mental dans des ornières dont il ne sort pas facilement. Il faut une singulière vivacité d’esprit, un étonnement vivant, une continuelle curiosité intellectuelle pour que l’intelligence soit toujours éveillée. Sinon, elle risque de prendre ce qui est seulement familier pour ce qui est évident, de prendre ce qui est habituellement entendu pour ce qui est intellectuellement recevable. Bref, de croire dans des préjugés de manière stupide et irréfléchie. De ce point de vue, indéniablement, c'est une faiblesse que de croire.
C’est la paresse intellectuelle qui favorise le conformisme des idées reçues, ce conformisme que nous n’osons pas mettre en cause parce que nous nous comportons soit en poltrons –par ce que nous n’osons pas penser par nous-même -ou en perroquet de l’opinion – parce que nous prenons l’habitude de répéter ce qui se dit. Le conformisme, c’est une forme de croyance où l’intelligence s’est endormie dans l’habitude.
Plus spécieux, est le besoin de croire à tout prix. La faiblesse de l’esprit critique laisse le champ libre à la crédulité et la crédulité peut prendre une forme quasiment pathologique dans certains cas. Qu’est-ce que la crédulité ? Une attitude dans laquelle l’esprit avale des idées reçues sans examen. On dit que l’enfant est naturellement crédule. C’est vrai qu’il est facile à tromper et l’adulte en abuse souvent. L’enfant est seul avec son besoin d’explication qu’il remplit au fur et à mesure par ce qu’il entend dire. Cependant, l’enfant en réalité est plutôt naïf, ce qui signifie qu’il ouvre de grands yeux à ce qui est neuf. Ce qui est vrai dans sa relation au monde, c’est la naïveté. Un esprit naïf est sans idée préconçue, vierge de présupposé. La naïveté permet un rapport innocent, neuf au monde. La naïveté seule peut accueillir ce qui est perpétuellement neuf. La crédulité est très différente. Elle est une forme irrationnelle de pensée qui est portée à croire plus ou moins n’importe quoi, c’est-à-dire que le crédule admet sans justification. Mais certainement pas pour rien. L’adulte est crédule dans un sens différent de l’enfant. Il a cessé depuis longtemps d’être naïf. Le naïf est étonné devant le monde sans éprouver le besoin de se rassurer ; or la plupart d’entre nous, bien au contraire, devenons crédules quand il y a en nous un besoin affectif de croire pour nous rassurer. Or, c’est une chose que de chercher à comprendre ce qui nous étonne, - ce qui implique la fraîcheur de la naïveté devant ce qui est - et c’est tout à fait autre chose que de chercher à tout à se rassurer dans la croyance. Si je ne cherche qu’à me rassurer, je suis par avance prêt à accepter tout ce qui assure mon confort intellectuel, ce qui veut dire satisfaire mes désirs, donc très souvent à me payer des illusions. La connaissance est là pour m’éclairer. Elle n’est pas là pour me réconforter. Dans l’ordre du vrai, il ne s’agit pas de « positiver » à tout prix mais de regarder les choses en face. Si on veut seulement positiver, le besoin de croire prend tout son empire, ce qui ouvre la porte à la crédulité. La crédulité se satisfera avec un horoscope qui vous prédit un avenir merveilleux, avec des conseils psychologiques qui flattent l’amour-propre, des romans à l’eau de rose, des slogans qui vous diront que vous êtes quelqu’un de merveilleux (comme consommateur bien sûr). Le besoin de croire à tout prix comble d’aise le charlatan qui fait bon marché de la crédulité humaine. Le besoin de croire fait tourner le commerce de l’illusion et perdurer l’illusion ; ce qui n’est pas sans conséquence, car l’illusion plonge l’esprit dans l’errance et créer le terrain de la souffrance.
La crédulité voisine avec la superstition. Un esprit superstitieux est crédule d’une manière plus aiguë. Il voit partout des signes avant coureur de ses propres attentes, il voit la confirmation de ses craintes, il voit partout le reflet de ses peurs. Ne pas passer sous l’échelle cela porte malheur ! Il faudra retourner le pain ! Dans les campagnes autrefois non seulement on le retournait, mais on faisait un croix dessus. Un esprit inquiet ou angoissé cherche des signes. Il interprète de manière délirante la réalité. Ainsi de ce cas psychiatrique où on voit un sujet s’arrêter devant les initiales JVC d’une marque de télévision pour proclamer : « Jésus Vous Connais ! C’est un signe, tremblez, vous serez jugé ! ». Freud fait quelques remarques de bon sens sur la différence entre le superstitieux et le psychiatre : « ce qui me distingue d’un homme superstitieux, c’est donc ceci : je ne crois pas qu’un événement à la production duquel ma vie psychique n’a pas pris part soit capable de m’apprendre des choses cachées concernant l’état à venir de la réalité ». Le superstitieux oui. Le superstitieux ne croit pas au hasard extérieur, le psychologue lui ne croit pas au hasard intérieur. Le superstitieux « projette à l’extérieur une motivation que je cherche à l’intérieur ». En d’autres termes : le superstitieux ne se rend pas compte de ses propres motivations et justement, parce qu’il les ignore, il les projette dans le monde extérieur.
Il faut bien avouer que "les plans" de la nature ne nous sont que rarement favorables, selon des désirs qui soient les nôtres. Les choses ne se passent jamais comme l’ego peut les attendre. Alors, comme l’explique Spinoza, les hommes ont tendance à repenser le cours des choses suivant leurs propres desseins. Donc, « si la fortune leur était toujours favorable, ils ne seraient jamais prisonniers de la superstition ». Dans l’adversité, il faut que les hommes cherchent de quoi se rassurer, quel que soit le prix de la croyance. « Si en effet, pendant qu’ils sont dans l’état de crainte, il se produit un événement qui leur rappelle un bien ou un mal passés, ils pensent que c’est l’annonce d’une issue heureuse ou malheureuse et pour cette raison, bien que cent fois détrompés, l’appellent un présage favorable ou funeste ». La superstition prolifère sur le terrain de la peur. La peur engendre une pensée irrationnelle et c’est cette pensée irrationnelle qui finit par faire en sorte que les hommes, « quand ils interprètent la Nature, ils découvrent partout le miracle, comme si la nature délirait avec eux ».
Nous ne devons pas nous moquer trop vite de la crédulité, car elle peut-être liée à un profond malaise, une angoisse, un doute morbide dont le sujet ne peut sortir que par une fuite en avant dans des opinions qui rassurent. Il ne suffit pas de dénoncer la superstition, tant que la confiance en soi n’a pas été restaurée. Quand la confiance est sapée, c’est le doute acide qui ronge. Le sceptique, dans le sens pathologique, est celui qui ne parvient plus à croire en quoi que ce soit et qui reste seul avec le doute. L’intellect qui n’a plus de prise sur rien se retourne contre lui-même et rumine des scrupules indéfinis, pour aboutir au sentiment d’une impuissance à croire. Le sceptique ne peut plus se rassurer dans des opinions qui assureraient un confort. Il rumine le doute.
S’il est un lieu commun répandu aujourd’hui, c’est que nous serions débarrassés des croyances. L’athéisme indifférent de l’homme post-moderne regarde la croyance comme un phénomène étrange qu’il tolère comme une curiosité culturelle. On fait le parallèle avec les idéologies en pensant que se débarrassant des idéologies politiques, nous avons perdu toutes nos croyances. Les nostalgiques du positivisme, ceux qui professent une attitude scientiste, diront aussi qu’avec la science moderne, nous nous sommes dégagée de la religion. En y ajoutant un peu d’anti-cléricalisme primaire, cela donne des discours du genre : L’obscurantisme du Moyen Age est loin de nous ! La science s’est érigée sur les ruines de la religion. Vive la science moderne, à bas la croyance et la superstition ! Or, c’est justement dans ce monde post-moderne, ce monde de la techno science que nous trouvons les formes de croyance les plus inattendues. A côté de la rigueur de l’approche méthodique du statisticien, du programmateur, du chercheur, il y a le domaine très vaste des croyances : l’un consulte son horoscope, à la pause café, pendant une manipulation de laboratoire, un autre , traite des ordres en bourse mais reste fidèle à sa foi chrétienne, un autre encore qui travaille dans la publicité rêve d’une convergence entre la science et sa représentation bouddhiste de l’univers, un dernier, fonctionnaire très rationnel dans son travail, se dit la science ne parvient pas à tout expliquer, et qu’il faut laisser une place à la croyance et au mythe. L'homme semble ne pouvoir se passer de croyance. Pourtant, est-ce faiblesse que de croire ?
est ce faiblesse que de croire?
Introduction :
S’il est un lieu commun répandu aujourd’hui, c’est que nous serions débarrassés des croyances. L’athéisme indifférent de l’homme post-moderne regarde la croyance comme un phénomène étrange qu’il tolère comme une curiosité culturelle. On fait le parallèle avec les idéologies en pensant que se débarrassant des idéologies politiques, nous avons perdu toutes nos croyances. Les nostalgiques du positivisme, ceux qui professent une attitude scientiste, diront aussi qu’avec la science moderne, nous nous sommes dégagés de la religion. En y ajoutant un peu d’anti-cléricalisme primaire, cela donne des discours du genre : L’obscurantisme du Moyen-Age est loin de nous ! La science s’est érigée sur les ruines de la religion. Vive la science moderne, à bas la croyance et la superstition !
Or, c’est justement dans ce monde post-moderne, ce monde de la techno-science que nous trouvons les formes de croyance les plus inattendues. A côté de la rigueur de l’approche méthodique du statisticien, du programmateur, du chercheur, il y a le domaine très vaste des croyances : l’un consulte son horoscope, à la pause café, pendant une manipulation de laboratoire, un autre , traite des ordres en bourse mais reste fidèle à sa foi chrétienne, un autre encore qui travaille dans la publicité rêve d’une convergence entre la science et sa représentation bouddhiste de l’univers, un dernier, fonctionnaire très rationnel dans son travail, se dit la science ne parvient pas à tout expliquer, et qu’il faut laisser une place à la croyance et au mythe.
L'homme semble ne pouvoir se passer de croyance. Pourtant, est-ce faiblesse que de croire ?
Développement :
I. Crédulité, superstition : du sceptique au fanatique
La croyance est donnée dans un vécu particulier et correspond dans l’attitude naturelle à une intention tournée vers un objet. Toute croyance est croyance en quelque chose. L’objet de la croyance est donné dans une expérience dans laquelle l’esprit adhère plus ou moins à une représentation. Quand il n’y a aucune adhésion, nous parlons de doute, quand l’adhésion est médiocre, nous parlons de probabilité, quand elle est entière, nous parlons de certitude. Ce flottement de l’adhésion, qui donne son caractère au jugement, est relatif à la conscience qui juge et s’identifie à sa propre construction mentale, ce qui produit un degré d’adhésion au jugement Quels sont donc les facteurs psychologiques qui interviennent dans l’adhésion qui est au fondement de la croyance ?
Tous les hommes ont en droit une même puissance de juger en examinant une représentation le plus attentivement possible. Tous les hommes sont aussi portés à croire. Cependant, savoir exercer son esprit critique est une chose qui s’apprend, qui s’exerce. La croyance elle est plus passive et plus irréfléchie. Nous sommes soumis à l’inertie du mental, inertie qui est proportionnelle à notre identification aux constructions mentales de notre propre pensée. Dans l’attitude naturelle, nous ne pouvons pas nous empêcher de croire dans nos pensées. L’inertie du mental fait que la paresse peut engourdir l’intelligence, de sorte qu’au lieu d’avoir en tête des idées justes, solidement fondées en raison, nous entretenons par habitude des idées confuses et qui n'ont pas vraiment de justification. L’habitude maintient le mental dans des ornières dont il ne sort pas facilement. Il faut une singulière vivacité d’esprit, un étonnement vivant, une continuelle curiosité intellectuelle pour que l’intelligence soit toujours éveillée. Sinon, elle risque de prendre ce qui est seulement familier pour ce qui est évident, de prendre ce qui est habituellement entendu pour ce qui est intellectuellement recevable. Bref, de croire dans des préjugés de manière stupide et irréfléchie. De ce point de vue, indéniablement, c'est une faiblesse que de croire.
C’est la paresse intellectuelle qui favorise le conformisme des idées reçues, ce conformisme que nous n’osons pas mettre en cause parce que nous nous comportons soit en poltrons –par ce que nous n’osons pas penser par nous-même -ou en perroquet de l’opinion – parce que nous prenons l’habitude de répéter ce qui se dit. Le conformisme, c’est une forme de croyance où l’intelligence s’est endormie dans l’habitude.
Plus spécieux, est le besoin de croire à tout prix. La faiblesse de l’esprit critique laisse le champ libre à la crédulité et la crédulité peut prendre une forme quasiment pathologique dans certains cas. Qu’est-ce que la crédulité ? Une attitude dans laquelle l’esprit avale des idées reçues sans examen. On dit que l’enfant est naturellement crédule. C’est vrai qu’il est facile à tromper et l’adulte en abuse souvent. L’enfant est seul avec son besoin d’explication qu’il remplit au fur et à mesure par ce qu’il entend dire. Cependant, l’enfant en réalité est plutôt naïf, ce qui signifie qu’il ouvre de grands yeux à ce qui est neuf. Ce qui est vrai dans sa relation au monde, c’est la naïveté. Un esprit naïf est sans idée préconçue, vierge de présupposé. La naïveté permet un rapport innocent, neuf au monde. La naïveté seule peut accueillir ce qui est perpétuellement neuf. La crédulité est très différente. Elle est une forme irrationnelle de pensée qui est portée à croire plus ou moins n’importe quoi, c’est-à-dire que le crédule admet sans justification. Mais certainement pas pour rien. L’adulte est crédule dans un sens différent de l’enfant. Il a cessé depuis longtemps d’être naïf. Le naïf est étonné devant le monde sans éprouver le besoin de se rassurer ; or la plupart d’entre nous, bien au contraire, devenons crédules quand il y a en nous un besoin affectif de croire pour nous rassurer. Or, c’est une chose que de chercher à comprendre ce qui nous étonne, - ce qui implique la fraîcheur de la naïveté devant ce qui est - et c’est tout à fait autre chose que de chercher à tout à se rassurer dans la croyance. Si je ne cherche qu’à me rassurer, je suis par avance prêt à accepter tout ce qui assure mon confort intellectuel, ce qui veut dire satisfaire mes désirs, donc très souvent à me payer des illusions. La connaissance est là pour m’éclairer. Elle n’est pas là pour me réconforter. Dans l’ordre du vrai, il ne s’agit pas de « positiver » à tout prix mais de regarder les choses en face. Si on veut seulement positiver, le besoin de croire prend tout son empire, ce qui ouvre la porte à la crédulité. La crédulité se satisfera avec un horoscope qui vous prédit un avenir merveilleux, avec des conseils psychologiques qui flattent l’amour-propre, des romans à l’eau de rose, des slogans qui vous diront que vous êtes quelqu’un de merveilleux (comme consommateur bien sûr). Le besoin de croire à tout prix comble d’aise le charlatan qui fait bon marché de la crédulité humaine. Le besoin de croire fait tourner le commerce de l’illusion et perdurer l’illusion ; ce qui n’est pas sans conséquence, car l’illusion plonge l’esprit dans l’errance et créer le terrain de la souffrance.
La crédulité voisine avec la superstition. Un esprit superstitieux est crédule d’une manière plus aiguë. Il voit partout des signes avant coureur de ses propres attentes, il voit la confirmation de ses craintes, il voit partout le reflet de ses peurs. Ne pas passer sous l’échelle cela porte malheur ! Il faudra retourner le pain ! Dans les campagnes autrefois non seulement on le retournait, mais on faisait un croix dessus. Un esprit inquiet ou angoissé cherche des signes. Il interprète de manière délirante la réalité. Ainsi de ce cas psychiatrique où on voit un sujet s’arrêter devant les initiales JVC d’une marque de télévision pour proclamer : « Jésus Vous Connais ! C’est un signe, tremblez, vous serez jugé ! ». Freud fait quelques remarques de bon sens sur la différence entre le superstitieux et le psychiatre : « ce qui me distingue d’un homme superstitieux, c’est donc ceci : je ne crois pas qu’un événement à la production duquel ma vie psychique n’a pas pris part soit capable de m’apprendre des choses cachées concernant l’état à venir de la réalité ». Le superstitieux oui. Le superstitieux ne croit pas au hasard extérieur, le psychologue lui ne croit pas au hasard intérieur. Le superstitieux « projette à l’extérieur une motivation que je cherche à l’intérieur ». En d’autres termes : le superstitieux ne se rend pas compte de ses propres motivations et justement, parce qu’il les ignore, il les projette dans le monde extérieur.
Il faut bien avouer que "les plans" de la nature ne nous sont que rarement favorables, selon des désirs qui soient les nôtres. Les choses ne se passent jamais comme l’ego peut les attendre. Alors, comme l’explique Spinoza, les hommes ont tendance à repenser le cours des choses suivant leurs propres desseins. Donc, « si la fortune leur était toujours favorable, ils ne seraient jamais prisonniers de la superstition ». Dans l’adversité, il faut que les hommes cherchent de quoi se rassurer, quel que soit le prix de la croyance. « Si en effet, pendant qu’ils sont dans l’état de crainte, il se produit un événement qui leur rappelle un bien ou un mal passés, ils pensent que c’est l’annonce d’une issue heureuse ou malheureuse et pour cette raison, bien que cent fois détrompés, l’appellent un présage favorable ou funeste ». La superstition prolifère sur le terrain de la peur. La peur engendre une pensée irrationnelle et c’est cette pensée irrationnelle qui finit par faire en sorte que les hommes, « quand ils interprètent la Nature, ils découvrent partout le miracle, comme si la nature délirait avec eux ».
Nous ne devons pas nous moquer trop vite de la crédulité, car elle peut-être liée à un profond malaise, une angoisse, un doute morbide dont le sujet ne peut sortir que par une fuite en avant dans des opinions qui rassurent. Il ne suffit pas de dénoncer la superstition, tant que la confiance en soi n’a pas été restaurée. Quand la confiance est sapée, c’est le doute acide qui ronge. Le sceptique, dans le sens pathologique, est celui qui ne parvient plus à croire en quoi que ce soit et qui reste seul avec le doute. L’intellect qui n’a plus de prise sur rien se retourne contre lui-même et rumine des scrupules indéfinis, pour aboutir au sentiment d’une impuissance à croire. Le sceptique ne peut plus se rassurer dans des opinions qui assureraient un confort. Il rumine le doute.
suite
L’intellect tranche et hache menu la certitude pour ramener toute croyance au néant. Amiel, dans son Journal intime, l’a souvent exprimé, disant que chez lui, la rumination scrupuleuse avait précipité le doute au point de paralyser la faculté de décider, de vouloir, d’agir. L’intellect qui se retourne contre lui-même produit la faiblesse et se donne la caution d’un scepticisme morbide pour qui tout est vain. Amiel écrit : « ta lacune est dans le vouloir, le principe de ton abstention est le doute et le doute provient de l’impossibilité de tout voir jointe à la probité qui repousse le parti pris et la décision arbitraire ». Le moi voudrait tout contrôler, mais n’y parvient pas. Il se retranche dans l’abstention et s’auto justifie par le scrupule soi-disant rationnel.
En comparaison, le fanatique lui, sort du doute par un saut aveugle dans la foi. Là où le sceptique rumine ses doutes, en restant prostré, lui se dope à la fébrilité d’une foi qui ne doute de rien. Il a le regard halluciné de celui qui possède la vérité absolue et entend l’imposer par tous les moyens, y compris par la force. Tout l’inverse du regard rentré, éteint, du sceptique qui ne voit plus de vérité nulle part. Son adhésion à la croyance est massive, inconditionnelle, étroite, dépourvue de tout esprit critique. C’est la passion de celui qui est persuadé de posséder la vérité et non pas passion de celui qui la cherche, ni l’humilité de celui qui sait que la vérité ne lui appartient pas en propre. Le mental fanatique est porté à donner des réponses brutales, tranchées, sommaires, catégoriques. Le fanatique pense entièrement dans la dualité et une dualité rigide, manichéenne: il y a le bien/mal, le chrétien/païen, les élus de Dieu/damnés, le peuple musulman/le grand Satan occidental, les courageux/lâches, la droite/gauche etc. Derrière la pensée fanatique, il y a d’abord une rigidité mentale. Le fanatique ne parvient pas à s’ajuster à la compréhension d’une situation neuve, complexe, il applique un schéma brutal, sans parvenir à nuancer son interprétation. Il pense de manière manichéenne et il s’auto-justifie dans la grandiloquence morale bardée de principes qui ne devraient pas connaître d’exception, comme si la règle devait tomber comme un couperet sans discussion possible. Cette incapacité de saisir la complexité fait que le fanatique ne parvient pas à voir que bien et mal sont présents en toute réalité relative donc en l’autre comme en lui-même. Persuadé d’avoir raison, il se fait fort d’exprimer ses vues de manière agressive, comme il sait s’abriter adroitement derrière le souci de la justice pour faire violence. La personnalité fanatique est naturellement de type obsessionnel. Les exemples que nous pourrions fournir sont nombreux. Il y a eu des fanatiques de tous bords, de toutes formes d’idéologie. Le christianisme a eu son fanatisme du temps de la Sainte Inquisition. Le personnage de l’inquisiteur est exactement le profil psychologique d’une pensée obsessionnelle, de la rigidité mentale fanatique. Un personnage aussi véhément qu’Adolf Hitler et son style de discours véhiculent exactement la même structure mentale. La logique de l’annihilation des Khmers rouges est encore la réapparition de ce même profil. Et c’est encore la structure mentale fanatique que l’on retrouve dans les mouvements intégristes violents qui se rattachent à l’Islam.
Nous ne pouvons pas être tolérants en matière de fanatisme, car justement le fanatisme est l’antithèse radicale de la tolérance. Cependant, si nous transportons la question à l’intérieur de nous-mêmes, nous aurons là une occasion d’une prise de conscience. Ce que nous devons savoir reconnaître avant tout, c’est cette forme -pensée fanatique, cette croyance qui n'est plus simplement une faiblesse, mais qui rend fou. Le personnage du fanatique n’est rien d’autre que l’incarnation d’une forme-pensée. De la même manière, le sceptique maladif est un type mental, la concrétion psychologique d’une forme-pensée, de même que le superstitieux. Tous ces personnages sont en nous, parce que notre esprit abrite en lui toutes les formes-pensées. Il est important de savoir reconnaître le pli mental qui installe dans notre vie un personnage, c’est même plus important que de seulement le dénoncer chez les autres. Il est facile de dénoncer le fanatisme chez les autres, sans se rendre compte que la colère véhémente que l’on met dans notre dénonciation peut aussi y ressembler beaucoup !
II. La croyance-opinion et la croyance-foi
Pour faire la part des choses et dire ce qui dans la croyance est de l'ordre de la faiblesse et ce qui ne l'est pas, essayons de distinguer nettement les formes que peut prendre la croyance. Qu’est-ce que la croyance en tant que rapport à la vérité? Il y a dans la croyance un assentiment à l’égard d’une représentation et un sens de persuasion intime.
L’esprit se dit persuadé de quelque chose, au sens où il adhère à une opinion particulière. Nous disons ainsi : « je crois qu’il y a sept étages au bâtiment de la faculté ». La croyance prend ici la forme d’une opinion personnelle qui garde un caractère hypothétique. Elle est un avis. A l’opinion un peu flottante et mal assurée, s’oppose la conviction fondée, c’est-à-dire une opinion qui est assortie de justifications solides. La croyance porte sur des énoncés, des propositions qui sont tenus pour vrais. C’est le champ de la croyance-opinion.
Dans un second sens, par croyance on entend l’ordre de l’adhésion aux vérités révélées par les textes religieux. Le fidèle d’une confession religieuse, notamment dans les religions sémitiques, croit dans un ordre supérieur de vérité qui dépasse la certitude sensible, l’Ecriture portant témoignage d’une révélation de Dieu à l’homme. La croyance, ainsi organisée dans une religion, est son credo, c’est la Foi au sens religieux. C’est ce que nous appellerons le champ de la croyance-foi.
Toute la question est de savoir si nous avons affaire à deux processus très différents ou s’il s’agit d’un seul et même processus. Si sur le plan psychologique, la croyance correspond à une expérience d’intensité de l’adhésion, ce n’est tout de même pas la même chose d’admettre telle ou telle opinion, ou d’avoir Foi en Dieu.
1) Analysons tout d’abord ce que représente la croyance-foi. L’esprit religieux peut impliquer plusieurs formes de foi qu’il ne faut pas confondre car elles se situent sur des plans très différents :
a) la foi dans un credo issue d’une révélation de Dieu à l’homme. Le musulman regarde des sourates du Coran comme un texte sacré qui est la révélation faite à Mahomet. Le chrétien révère les Evangiles et la Bible, le juif ne voit que par la Bible et ne reconnaît pas l’autorité du Nouveau testament . On dit que les religions sémitiques sont des religions du Livre, car la référence de la foi pour elle tient au texte sacré. L’argument d’autorité y règne donc en maître : « la Sainte Bible dit que, « Dans le Coran il est dit que », « Jésus dans les Evangiles dit que ». Que signifie alors la croyance ? Elle signifie le respect du texte sacré et de son application stricte, car il est fondé en vérité, puisque sa provenance est Dieu lui-même. Le fidèle doit donc croire en adhérant à la Doctrine de la foi et celui qui ne croit pas est un païen, un infidèle, un mécréant, il est hors de l’Eglise. C’est cette version de la foi qui produit l’intégrisme.
b) Croire veut aussi dire croire en quelqu’un qui est digne de confiance : le chrétien dit « je crois en lui, Jésus le Fils de Dieu ». La foi a donc un aspect charismatique, elle est souvent confiance dans un être donc la personnalité exceptionnelle suscite l’adhésion et la ferveur. Il est indiscutable que Jésus est une personnalité charismatique exceptionnelle, mais on pourrait en dire autant de Sakyamuni, le Bouddha, ou de Krishna. Pour beaucoup de croyants, la foi est d’abord une question de relation personnelle avec celui que l’on considère comme une, voire l’unique, incarnation du Divin. Dans la bigoterie populaire, si on enlevait par exemple la relation personnelle à la Vierge Marie, il ne resterait rien. C’est cette version de la foi qui fabrique l’idolâtrie religieuse, l’extase émotionnelle autant d’une personne.
c) Enfin, croire peut prendre encore un autre sens pour ce qui est de la confiance en Dieu. Dieu, en tant que personnalité suprême, ce n’est ni un catalogue d’articles de foi, ni un texte, ni une personne particulière. Toute représentation humaine de Dieu en un sens est anthropomorphique. Dans la mystique¸ qui n’est pas la religion au sens courant, la Foi devient une Confiance absolue dans l’Etre suprême et elle prend la forme de la dévotion et se manifeste dans une expérience. C’est en ce sens qu’il faut comprendre en Inde la foi chez Ramakrishna, chez Ramdas, ou Ma Ananda Moyi. Ramakrishna est passé d’une religion à une autre pour y retrouver Dieu à chaque fois, sous une forme différente. Il n’avait que faire des credo et de leurs incompatibilités. Les visiteurs qui rencontraient Ma Ananda Moyi repartaient en ayant le sentiment qu’elle était chrétienne, hindoue, bouddhiste, musulmane etc. Cette forme de la foi est la seule qui enveloppe à une appréhension universelle de l’esprit religieux et un esprit de tolérance.
Si on repère nettement ces distinctions, on est à même de mieux comprendre ce que représente dans les temps post-modernes, le phénomène des sectes. Qu’est-ce qui différentie une religion d’une secte ? Si on se base sur la doctrine, on ne verra pas de distinction. Toutes les religions ont pu passer pour des sectes, tant qu’elles n’ont pas reçu d’accréditation sociale. Une doctrine peut-être admise dans un pays et n’être pas reconnue dans un autre. L’Armée du salut, Greenpeace on été un temps désignés comme des sectes, avant de recevoir une reconnaissance sociale, comme le christianisme en son temps. Historiquement, le protestantisme est une secte qui rompt avec le catholicisme. La seule justification du terme secte que l’on puisse fournir tient à la nocivité du conditionnement qu’une organisation de type religieux peut effectuer : bourrage de crâne, soumission inconditionnelle, destruction de soi, de la famille, violence sociale, escroquerie intellectuelle morale et financière. En bref, la forme mentale de l’attitude sectaire est bien plus caractéristique que la doctrine pour identifier ce qu’on appelle secte. Pratiquement toutes les religions peuvent avoir une dérive sectaire, quand elles sont entre les mains de croyants fanatiques et que la croyance use de moyens violents et utilise la faiblesse humaine. Mais attention, le sectarisme peut aussi exister en dehors de la religion, dans le domaine des opinions politiques et de l’opinion tout court.
2) Considérons maintenant la différence entre croyance-foi et croyance-opinion et ses caractères. La croyance-opinion appartient au registre de l’ignorance, elle peut-être éclairée en prenant conscience d’elle-même, c’est-à-dire en prenant conscience de son objet. C’est l’objet, dans sa forme d’existence qui doit ; déterminer la nature de la croyance. Dans la croyance-foi par contre, la source de la croyance ne vient pas de l’objet mais du sujet qui a la foi en Dieu et dans sa parole. On ne peut pas raisonner sur la croyance-foi comme on raisonne sur la croyance-opinion, parce que la foi n’engage pas seulement la représentation, mais surtout le sujet lui-même. Il faut marquer la différence entre croire que (la terre est ronde, que les soucoupes volantes existent, et croire en (la virginité de Marie, la résurrection des corps, l’Apocalypse, en Jésus ou Mahomet). Croire que la terre est ronde, c’est penser que cette proposition décrit correctement une réalité. Ce n’est pas en fait non plus croire en quelqu’un, ce qui voudrait dire que l’on a confiance en lui.
En comparaison, le fanatique lui, sort du doute par un saut aveugle dans la foi. Là où le sceptique rumine ses doutes, en restant prostré, lui se dope à la fébrilité d’une foi qui ne doute de rien. Il a le regard halluciné de celui qui possède la vérité absolue et entend l’imposer par tous les moyens, y compris par la force. Tout l’inverse du regard rentré, éteint, du sceptique qui ne voit plus de vérité nulle part. Son adhésion à la croyance est massive, inconditionnelle, étroite, dépourvue de tout esprit critique. C’est la passion de celui qui est persuadé de posséder la vérité et non pas passion de celui qui la cherche, ni l’humilité de celui qui sait que la vérité ne lui appartient pas en propre. Le mental fanatique est porté à donner des réponses brutales, tranchées, sommaires, catégoriques. Le fanatique pense entièrement dans la dualité et une dualité rigide, manichéenne: il y a le bien/mal, le chrétien/païen, les élus de Dieu/damnés, le peuple musulman/le grand Satan occidental, les courageux/lâches, la droite/gauche etc. Derrière la pensée fanatique, il y a d’abord une rigidité mentale. Le fanatique ne parvient pas à s’ajuster à la compréhension d’une situation neuve, complexe, il applique un schéma brutal, sans parvenir à nuancer son interprétation. Il pense de manière manichéenne et il s’auto-justifie dans la grandiloquence morale bardée de principes qui ne devraient pas connaître d’exception, comme si la règle devait tomber comme un couperet sans discussion possible. Cette incapacité de saisir la complexité fait que le fanatique ne parvient pas à voir que bien et mal sont présents en toute réalité relative donc en l’autre comme en lui-même. Persuadé d’avoir raison, il se fait fort d’exprimer ses vues de manière agressive, comme il sait s’abriter adroitement derrière le souci de la justice pour faire violence. La personnalité fanatique est naturellement de type obsessionnel. Les exemples que nous pourrions fournir sont nombreux. Il y a eu des fanatiques de tous bords, de toutes formes d’idéologie. Le christianisme a eu son fanatisme du temps de la Sainte Inquisition. Le personnage de l’inquisiteur est exactement le profil psychologique d’une pensée obsessionnelle, de la rigidité mentale fanatique. Un personnage aussi véhément qu’Adolf Hitler et son style de discours véhiculent exactement la même structure mentale. La logique de l’annihilation des Khmers rouges est encore la réapparition de ce même profil. Et c’est encore la structure mentale fanatique que l’on retrouve dans les mouvements intégristes violents qui se rattachent à l’Islam.
Nous ne pouvons pas être tolérants en matière de fanatisme, car justement le fanatisme est l’antithèse radicale de la tolérance. Cependant, si nous transportons la question à l’intérieur de nous-mêmes, nous aurons là une occasion d’une prise de conscience. Ce que nous devons savoir reconnaître avant tout, c’est cette forme -pensée fanatique, cette croyance qui n'est plus simplement une faiblesse, mais qui rend fou. Le personnage du fanatique n’est rien d’autre que l’incarnation d’une forme-pensée. De la même manière, le sceptique maladif est un type mental, la concrétion psychologique d’une forme-pensée, de même que le superstitieux. Tous ces personnages sont en nous, parce que notre esprit abrite en lui toutes les formes-pensées. Il est important de savoir reconnaître le pli mental qui installe dans notre vie un personnage, c’est même plus important que de seulement le dénoncer chez les autres. Il est facile de dénoncer le fanatisme chez les autres, sans se rendre compte que la colère véhémente que l’on met dans notre dénonciation peut aussi y ressembler beaucoup !
II. La croyance-opinion et la croyance-foi
Pour faire la part des choses et dire ce qui dans la croyance est de l'ordre de la faiblesse et ce qui ne l'est pas, essayons de distinguer nettement les formes que peut prendre la croyance. Qu’est-ce que la croyance en tant que rapport à la vérité? Il y a dans la croyance un assentiment à l’égard d’une représentation et un sens de persuasion intime.
L’esprit se dit persuadé de quelque chose, au sens où il adhère à une opinion particulière. Nous disons ainsi : « je crois qu’il y a sept étages au bâtiment de la faculté ». La croyance prend ici la forme d’une opinion personnelle qui garde un caractère hypothétique. Elle est un avis. A l’opinion un peu flottante et mal assurée, s’oppose la conviction fondée, c’est-à-dire une opinion qui est assortie de justifications solides. La croyance porte sur des énoncés, des propositions qui sont tenus pour vrais. C’est le champ de la croyance-opinion.
Dans un second sens, par croyance on entend l’ordre de l’adhésion aux vérités révélées par les textes religieux. Le fidèle d’une confession religieuse, notamment dans les religions sémitiques, croit dans un ordre supérieur de vérité qui dépasse la certitude sensible, l’Ecriture portant témoignage d’une révélation de Dieu à l’homme. La croyance, ainsi organisée dans une religion, est son credo, c’est la Foi au sens religieux. C’est ce que nous appellerons le champ de la croyance-foi.
Toute la question est de savoir si nous avons affaire à deux processus très différents ou s’il s’agit d’un seul et même processus. Si sur le plan psychologique, la croyance correspond à une expérience d’intensité de l’adhésion, ce n’est tout de même pas la même chose d’admettre telle ou telle opinion, ou d’avoir Foi en Dieu.
1) Analysons tout d’abord ce que représente la croyance-foi. L’esprit religieux peut impliquer plusieurs formes de foi qu’il ne faut pas confondre car elles se situent sur des plans très différents :
a) la foi dans un credo issue d’une révélation de Dieu à l’homme. Le musulman regarde des sourates du Coran comme un texte sacré qui est la révélation faite à Mahomet. Le chrétien révère les Evangiles et la Bible, le juif ne voit que par la Bible et ne reconnaît pas l’autorité du Nouveau testament . On dit que les religions sémitiques sont des religions du Livre, car la référence de la foi pour elle tient au texte sacré. L’argument d’autorité y règne donc en maître : « la Sainte Bible dit que, « Dans le Coran il est dit que », « Jésus dans les Evangiles dit que ». Que signifie alors la croyance ? Elle signifie le respect du texte sacré et de son application stricte, car il est fondé en vérité, puisque sa provenance est Dieu lui-même. Le fidèle doit donc croire en adhérant à la Doctrine de la foi et celui qui ne croit pas est un païen, un infidèle, un mécréant, il est hors de l’Eglise. C’est cette version de la foi qui produit l’intégrisme.
b) Croire veut aussi dire croire en quelqu’un qui est digne de confiance : le chrétien dit « je crois en lui, Jésus le Fils de Dieu ». La foi a donc un aspect charismatique, elle est souvent confiance dans un être donc la personnalité exceptionnelle suscite l’adhésion et la ferveur. Il est indiscutable que Jésus est une personnalité charismatique exceptionnelle, mais on pourrait en dire autant de Sakyamuni, le Bouddha, ou de Krishna. Pour beaucoup de croyants, la foi est d’abord une question de relation personnelle avec celui que l’on considère comme une, voire l’unique, incarnation du Divin. Dans la bigoterie populaire, si on enlevait par exemple la relation personnelle à la Vierge Marie, il ne resterait rien. C’est cette version de la foi qui fabrique l’idolâtrie religieuse, l’extase émotionnelle autant d’une personne.
c) Enfin, croire peut prendre encore un autre sens pour ce qui est de la confiance en Dieu. Dieu, en tant que personnalité suprême, ce n’est ni un catalogue d’articles de foi, ni un texte, ni une personne particulière. Toute représentation humaine de Dieu en un sens est anthropomorphique. Dans la mystique¸ qui n’est pas la religion au sens courant, la Foi devient une Confiance absolue dans l’Etre suprême et elle prend la forme de la dévotion et se manifeste dans une expérience. C’est en ce sens qu’il faut comprendre en Inde la foi chez Ramakrishna, chez Ramdas, ou Ma Ananda Moyi. Ramakrishna est passé d’une religion à une autre pour y retrouver Dieu à chaque fois, sous une forme différente. Il n’avait que faire des credo et de leurs incompatibilités. Les visiteurs qui rencontraient Ma Ananda Moyi repartaient en ayant le sentiment qu’elle était chrétienne, hindoue, bouddhiste, musulmane etc. Cette forme de la foi est la seule qui enveloppe à une appréhension universelle de l’esprit religieux et un esprit de tolérance.
Si on repère nettement ces distinctions, on est à même de mieux comprendre ce que représente dans les temps post-modernes, le phénomène des sectes. Qu’est-ce qui différentie une religion d’une secte ? Si on se base sur la doctrine, on ne verra pas de distinction. Toutes les religions ont pu passer pour des sectes, tant qu’elles n’ont pas reçu d’accréditation sociale. Une doctrine peut-être admise dans un pays et n’être pas reconnue dans un autre. L’Armée du salut, Greenpeace on été un temps désignés comme des sectes, avant de recevoir une reconnaissance sociale, comme le christianisme en son temps. Historiquement, le protestantisme est une secte qui rompt avec le catholicisme. La seule justification du terme secte que l’on puisse fournir tient à la nocivité du conditionnement qu’une organisation de type religieux peut effectuer : bourrage de crâne, soumission inconditionnelle, destruction de soi, de la famille, violence sociale, escroquerie intellectuelle morale et financière. En bref, la forme mentale de l’attitude sectaire est bien plus caractéristique que la doctrine pour identifier ce qu’on appelle secte. Pratiquement toutes les religions peuvent avoir une dérive sectaire, quand elles sont entre les mains de croyants fanatiques et que la croyance use de moyens violents et utilise la faiblesse humaine. Mais attention, le sectarisme peut aussi exister en dehors de la religion, dans le domaine des opinions politiques et de l’opinion tout court.
2) Considérons maintenant la différence entre croyance-foi et croyance-opinion et ses caractères. La croyance-opinion appartient au registre de l’ignorance, elle peut-être éclairée en prenant conscience d’elle-même, c’est-à-dire en prenant conscience de son objet. C’est l’objet, dans sa forme d’existence qui doit ; déterminer la nature de la croyance. Dans la croyance-foi par contre, la source de la croyance ne vient pas de l’objet mais du sujet qui a la foi en Dieu et dans sa parole. On ne peut pas raisonner sur la croyance-foi comme on raisonne sur la croyance-opinion, parce que la foi n’engage pas seulement la représentation, mais surtout le sujet lui-même. Il faut marquer la différence entre croire que (la terre est ronde, que les soucoupes volantes existent, et croire en (la virginité de Marie, la résurrection des corps, l’Apocalypse, en Jésus ou Mahomet). Croire que la terre est ronde, c’est penser que cette proposition décrit correctement une réalité. Ce n’est pas en fait non plus croire en quelqu’un, ce qui voudrait dire que l’on a confiance en lui.
fin
la croyance opinion, dès qu’elle est formulée, rentre dans le jeu du dialogue et elle est obligée de se trouver une justification. Par nature, la croyance opinion manque de justification, elle est une manière de s’avancer dans le discours, sans pour autant être très assuré, mais en donnant pourtant son avis. Le jeu du dialogue oblige la croyance opinion à argumenter de manière rationnelle, justement pour ne pas en rester à une simple profession de foi . Cela implique que la croyance-opinion n’est pas vraiment consciente, tant qu’elle n’a pas été clairement formulée : il se peut que je crois que « A est imbécile et prétentieux », que « tous les italiens sont des voleurs », que « les gens qui ont les cheveux roux sont agressifs » etc. Il y a une sphère des croyances personnelles qui reste la plupart du temps à l’état inconscient. C’est sur le fond de l’inconscience que prolifèrent les préjugés. C’est sur ce fond d’inconscience que l’individu adopte passivement les idées reçues et colporte les croyances de son milieu d’origine. Sans nous en douter, nous gardons par de vers nous un stock d’opinions, soi-disant personnelles, qui en fait ne sont que le reflet de la conscience collective, des préjugés culturels, des préjugés de classe, de groupe etc.
Ce qui est particulièrement spécieux dans la croyance-opinion, c’est justement ce caractère latent d’une pensée qui reste à l’état endormi dans le discours, mais qui pourtant gouverne la pensée individuelle à son insu. Celui qui est raciste dans ses opinions le sera nécessairement dans ses actes, même s’il ne le dit pas haut et fort, car son comportement ne sera que la traduction de sa pensée et rien d’autre. Le minimum que nous puissions faire à l’égard de la croyance-opinion, c’est donc de la mettre au jour pour la désigner du nom qui lui revient. Ce qui est sûr de toute manière, c’est que nous ne pouvons certainement pas dire que la croyance-foi est moins consciente que la croyance-opinion. Elles sont toutes deux irrationnelles, elles oscillent aisément entre, dans le pire des cas, la superstition et, dans le meilleur des cas, le préjugé.
III. La croyance entre raison et faiblesse
Il faut bien faire la différence entre le sens logique et le sens psychologique de la croyance. Au sens logique, toute croyance possède une signification et est susceptible d’être vraie ou fausse, au sens où elle décrit correctement ou non un état de fait. Au sens psychologique, la croyance est liée à un état du mental. L’aveugle de naissance ne peut pas croire que le ciel est bleu de la même manière que le voyant, ils ne sont pas dans le même état, ils n’ont pas le même vécu. Cependant, ils peuvent l’un et l’autre s’entendre sur la proposition du point de vue logique. Du point de vue logique, traditionnellement, on distingue la croyance de la connaissance : la croyance est une simple opinion, la connaissance est une représentation vraie. C’est ce que Platon nous montre. Toute la question, c’est en fait de savoir quand nos croyances sont justifiées. Quand est-il raisonnable de douter d’une croyance ?
L’adhésion de la croyance, elle, suppose un rapport à l’Etre qui est plus ou moins assuré et exact. Ainsi, explique Husserl, nous parlons de certitude quand nous sommes en présence du réel. Nous faisons de simples supputations en présence de ce qui est simplement possible. Par contre, notre adhésion s’affirme quand nous osons une conjecture à l’égard de ce qui nous paraît vraisemblable. En mettant en question nous faisons de l’existence quelque chose qui est problématique. Enfin, au plus bas degré de la certitude, il y a le sentiment du doute, le doute qui nous met en présence de ce qui nous semble avoir une existence fantomatique : douteuse. Je suis certain de la présence sur ma table de la boîte pleine de stylos. Je suppose que l’employé du téléphone a dû appeler, il devait le faire, donc il est possible qu’il l’ait fait en mon absence. Je peux conjecturer, sans grande crainte de me tromper que A se présentera aux élections (les journaux bien informés le supposent). Je ne sais pas si tel livre était ou non dans la bibliothèque, je pensais le savoir, je croyais, mais je ne sais plus et je suis dans le doute. Je l’ai peut-être prêté. Je ne me souviens plus et je ne suis sûr de rien.
Mais comment s’en assurer ? Nos croyances peuvent venir en fait de sources très diverses qui sont très éloignées de la relation directe à ce qui est. Nous avons l’appui de notre expérience personnelle, mais nous ne pouvons nous y tenir et tout le reste relève du ouï-dire. Nous notre catalogue de réflexions personnelles, nous avons à notre portée les réflexions des personnes en qui nous avons confiance. Il y a le poids de notre éducation, nos traditions culturelles, la référence des autorités religieuses, les autorités scientifiques, les autorités morales que nous respectons. Mais toutes ces sources sont sujettes à l’erreur et peuvent nous conduire à la faiblesse. Nos vues sur un objet donné sont souvent trop limitées, nous manquons parfois de l’information nécessaire pour former un jugement solide ; par dessus le marché, le domaine scientifique de l’objectivité ne fournit pas non plus de certitudes définitives. Une théorie scientifique repose sur un consensus entre les scientifiques à un moment donné. Nous pouvons dire « dans l’état actuel de notre savoir, on admet que ». Il ne serait pas raisonnable de prétendre plus. Certes, nous n’allons pas demain nous mettre à croire que la Terre est plate, comme on le pensait en Europe au Moyen Age, mais nous ne pouvons pas non plus être certain que parmi nos croyances actuelles, certaines ne sembleront pas absurdes pour les siècles à venir. Dans le champ du savoir objectif, aucune croyance n’est absolue, ni absolument certaine. La croyance fondée sur l’objet est relative à celui qui perçoit l’objet. Sa certitude dépend du point de vue de l’observateur ; par essence un point de vue objectivé enveloppe seulement une probabilité de vérité. Même si les méthodes de l’approche objective de la connaissance sont fiables, elles ne sont pas infaillibles. De plus les théories scientifiques ne répondent pas à toutes les questions. Elles ne sont scientifiques que parce qu’elles sont en réalité falsifiables, révisables. Dépendant d’un consensus entre les scientifiques, elles sont inscrites dans un contexte culturel.
Nos croyances sont donc en droit, comme en fait, révisables, pour autant que nous restons ouverts au dialogue et que nous gardons un esprit critique. La contradiction, c’est que par ailleurs, nous avons un besoin d’absolu et de certitude qui ne peut pas se contenter de ce flottement relatif de la croyance. En tant qu’être humain, nous avons besoin de croire, de croire que le monde est bien ainsi et pas autrement, que notre vie a bien un sens si nous agissons correctement, qu’il y a des repères moraux, des valeurs indiscutables. Le mental a besoin de mettre de la cohérence dans tous les aspects de la vie, c’est sa seule manière de pouvoir l’organiser à sa façon. Comme il n’y parvient pas avec des convictions bien assurées, dans toutes les avenues de la connaissance, il est porté à combler le reste avec des croyances. Même l’athée et le sceptique croient en quelque chose. On ne peut pas diviser le monde en croyants ou incroyants, et il est encore plus absurde d’imaginer que du côté des croyants, il y a uniquement la foi et du côté des incroyants, il y a uniquement la science. Non, dans le monde humain se rencontrent que des plus ou moins croyants et c’est tout.
Ce qui importe, c’est que nous soyons conscients de la croyance en nous. Ce qui fait problème, c’est que beaucoup de nos croyances sont encore à l’état non-réfléchi. Cela ne les empêche pas de jouer un rôle immense. Si A croit qu’il n’a aucune valeur personnelle, sa croyance ne va pas rester à l’état de formule en l’air. Je deviens ce que je crois. A sera déprimé et il n’aura plus envie d’entreprendre quoi que ce soit. Le cercle vicieux en l’affaire, c’est qu’alors justement, s’il est déprimé et ne fait rien, il en viendra invariablement à croire qu’il ne vaut rien ! La croyance construit toujours – et cela quelle que soit la croyance. Nous devrions donc exercer toute notre lucidité à l ‘égard de nos croyances. Il y a des croyances injustes (comme celles qui conduisent au racisme), il y a des croyances dangereuses (comme celles qui mènent droit au fanatisme). Il y a des croyances qui confinent à la démence (comme celles qui relèvent d’un délire politico-religieux paranoïaque). Il y a des croyances qui donnent une confiance excessive (comme la croyance aveugle dans le pouvoir de rédemption par la technologie et de la science).
Tout est donc dans la discrimination entre raison et faiblesse. Tant que l’on reste du côté de l’objet, c’est-à-dire dans l’ordre de la représentation, il est possible de faire des distinctions simples, par exemple comme Kant, de séparer les objets connaissables en objets d’opinion, objets de l’ordre des faits et objets de croyance. « Admettre des habitants raisonnables dans les autres planètes, c’est une affaire d’opinion ; en effet, si nous pouvions nous en rapprocher, ce qui est en soi possible, nous pourrions décider par expérience s’ils existent ou non ». Dans la seconde catégorie tombe tout ce que la raison est capable de prouver, soit de manière démonstrative, comme c’est le cas dans le domaine des mathématiques, soit en recourant à une forme d’expérimentation, comme c’est le cas en physique. En histoire les témoignages convergents jouent un rôle semblable. Enfin, Kant range dans la catégorie des objets de la croyance, ce qui est nécessaire d’un point de vue moral de supposer, même si par ailleurs, la preuve nous manque. Kant voit dans la liberté une Idée de la raison. Il va jusqu’à estimer que de ce point de vue l’immortalité de l’âme est aussi une Idée nécessaire à la morale. Dans la Critique de la raison pure, Kant a une formule surprenante à cet égard, disant "j’ai dû abolir le savoir et lui substituer la croyance".
C’est une position très décalée dans notre monde actuel, ce n’est pas du tout ce que notre époque favorise. Dans la culture intellectuelle qui est la nôtre en Occident, nous sommes progressivement sortis de la croyance, par la porte de la critique systématique, sur le terrain vague de l’indifférence. Nous vivons dans la représentation d’un monde sans Dieu, où la morale s’est elle-même débarrassée de la caution de la croyance, des sanctions et des interdits religieux. L’explosion des moyens de communication et d'information laisse libre cours à la critique systématique de l’autorité. Du plus, le commentaire critique de la subjectivité, a tendu comme un miroir à notre époque. L’intellectuel d’aujourd’hui se poserait plutôt la question de savoir à quoi on peut encore croire, plutôt que de se demander si c'est une faiblesse de croire. Nous avons tellement critiqué, analysé, les pratiques sociales, les utopies en tout genre, les formes déviantes de religion, les cultes, nous sommes devenus tellement méfiants vis-à-vis de toute forme de communauté dite « spirituelle » que nous ne croyons plus en rien. Nous n’avons laissé debout que la liberté de la critique, sans objet. Le scepticisme désabusé ou l’indifférence sont les marques de notre temps. La réflexivité critique est si caustique dans notre culture qu’il est devenu très difficile de "croire" au premier degré. Dans un monde qui cultive très largement la dérision, la croyance est devenue en tant qu’attitude, dérisoire. Il nous faut donc la regarder sous un angle extérieur pour lui trouver du sens : l’angle historique de l’histoire des religions, la curiosité culturelle de l’exotisme, l’angle de l’imaginaire du mythe.
Cela ne veut certainement pas dire que le besoin de croire ait disparu, bien au contraire. Il a trouvé refuge en dehors de la religion, en dehors de la science, dans les productions d’une culture new age qui n'est pas la culture universitaire. Nos librairies sont pleines d’ouvrages sur la magie, la communication avec les anges, les horoscopes, les prophéties etc. N’allons pas non plus dire trop vite que le besoin de croire a trouvé refuge dans la philosophie. Ce n’est pas vrai. C’est la liberté de penser qui a pris refuge en philosophie. Ce qui est neuf c’est que notre temps s’est détourné des credo et ne prend la croyance que comme une dimension de l’intériorité, celle de la confiance. Nous voyons dans la spiritualité une démarche personnelle qui est un choix et une attitude de vie, tandis que dans l’ancienne croyance, on pouvait adhérer à un dogme, on prétendait avoir trouvé la Vérité dans la foi et le prosélytisme était de mise. La nécessité de mesurer nos croyances est là comme avant, mais leurs formes ont changé.
Conclusion :
Tout être humain vit avec des croyances. Il y a des croyances périphériques que l’on serait prêt à lâcher, il y a des croyances centrales que l’on ne voudrait pas lâcher. L’appropriation de la croyance joue un rôle dans l’identité personnelle, dans la construction du moi. C’est l’ego qui a besoin de se rassurer avec des croyances. La croyance sous la forme de croyance-opinion joue un rôle sur la scène de la recherche de la vérité. Le savoir objectif lui-même n’existe pas de façon absolue, il est lié à un système de croyances qui sont celles de la science.
Toute la question, c’est de savoir examiner nos croyances et surtout en prendre conscience sans se laisser abuser par abus de faiblesse. Il est indispensable de comprendre à quel point la croyance est une puissance qui construit, joue un rôle psychologique important. Qu’il y ait un besoin vital de croire ne veut pas dire que l’on doive le satisfaire avec n’importe quoi. L’intelligence n’est pas donnée à l’homme seulement pour faire des calculs, dominer le monde ou pour écrire des livres savants et incompréhensibles au commun des mortels. L’intelligence est là pour éclairer et pour éclairer la croyance. C’est la compréhension vraie qui seule peut nous délivrer du fanatisme,de la superstition et rompre définitivement avec la faiblesse.
Ce qui est particulièrement spécieux dans la croyance-opinion, c’est justement ce caractère latent d’une pensée qui reste à l’état endormi dans le discours, mais qui pourtant gouverne la pensée individuelle à son insu. Celui qui est raciste dans ses opinions le sera nécessairement dans ses actes, même s’il ne le dit pas haut et fort, car son comportement ne sera que la traduction de sa pensée et rien d’autre. Le minimum que nous puissions faire à l’égard de la croyance-opinion, c’est donc de la mettre au jour pour la désigner du nom qui lui revient. Ce qui est sûr de toute manière, c’est que nous ne pouvons certainement pas dire que la croyance-foi est moins consciente que la croyance-opinion. Elles sont toutes deux irrationnelles, elles oscillent aisément entre, dans le pire des cas, la superstition et, dans le meilleur des cas, le préjugé.
III. La croyance entre raison et faiblesse
Il faut bien faire la différence entre le sens logique et le sens psychologique de la croyance. Au sens logique, toute croyance possède une signification et est susceptible d’être vraie ou fausse, au sens où elle décrit correctement ou non un état de fait. Au sens psychologique, la croyance est liée à un état du mental. L’aveugle de naissance ne peut pas croire que le ciel est bleu de la même manière que le voyant, ils ne sont pas dans le même état, ils n’ont pas le même vécu. Cependant, ils peuvent l’un et l’autre s’entendre sur la proposition du point de vue logique. Du point de vue logique, traditionnellement, on distingue la croyance de la connaissance : la croyance est une simple opinion, la connaissance est une représentation vraie. C’est ce que Platon nous montre. Toute la question, c’est en fait de savoir quand nos croyances sont justifiées. Quand est-il raisonnable de douter d’une croyance ?
L’adhésion de la croyance, elle, suppose un rapport à l’Etre qui est plus ou moins assuré et exact. Ainsi, explique Husserl, nous parlons de certitude quand nous sommes en présence du réel. Nous faisons de simples supputations en présence de ce qui est simplement possible. Par contre, notre adhésion s’affirme quand nous osons une conjecture à l’égard de ce qui nous paraît vraisemblable. En mettant en question nous faisons de l’existence quelque chose qui est problématique. Enfin, au plus bas degré de la certitude, il y a le sentiment du doute, le doute qui nous met en présence de ce qui nous semble avoir une existence fantomatique : douteuse. Je suis certain de la présence sur ma table de la boîte pleine de stylos. Je suppose que l’employé du téléphone a dû appeler, il devait le faire, donc il est possible qu’il l’ait fait en mon absence. Je peux conjecturer, sans grande crainte de me tromper que A se présentera aux élections (les journaux bien informés le supposent). Je ne sais pas si tel livre était ou non dans la bibliothèque, je pensais le savoir, je croyais, mais je ne sais plus et je suis dans le doute. Je l’ai peut-être prêté. Je ne me souviens plus et je ne suis sûr de rien.
Mais comment s’en assurer ? Nos croyances peuvent venir en fait de sources très diverses qui sont très éloignées de la relation directe à ce qui est. Nous avons l’appui de notre expérience personnelle, mais nous ne pouvons nous y tenir et tout le reste relève du ouï-dire. Nous notre catalogue de réflexions personnelles, nous avons à notre portée les réflexions des personnes en qui nous avons confiance. Il y a le poids de notre éducation, nos traditions culturelles, la référence des autorités religieuses, les autorités scientifiques, les autorités morales que nous respectons. Mais toutes ces sources sont sujettes à l’erreur et peuvent nous conduire à la faiblesse. Nos vues sur un objet donné sont souvent trop limitées, nous manquons parfois de l’information nécessaire pour former un jugement solide ; par dessus le marché, le domaine scientifique de l’objectivité ne fournit pas non plus de certitudes définitives. Une théorie scientifique repose sur un consensus entre les scientifiques à un moment donné. Nous pouvons dire « dans l’état actuel de notre savoir, on admet que ». Il ne serait pas raisonnable de prétendre plus. Certes, nous n’allons pas demain nous mettre à croire que la Terre est plate, comme on le pensait en Europe au Moyen Age, mais nous ne pouvons pas non plus être certain que parmi nos croyances actuelles, certaines ne sembleront pas absurdes pour les siècles à venir. Dans le champ du savoir objectif, aucune croyance n’est absolue, ni absolument certaine. La croyance fondée sur l’objet est relative à celui qui perçoit l’objet. Sa certitude dépend du point de vue de l’observateur ; par essence un point de vue objectivé enveloppe seulement une probabilité de vérité. Même si les méthodes de l’approche objective de la connaissance sont fiables, elles ne sont pas infaillibles. De plus les théories scientifiques ne répondent pas à toutes les questions. Elles ne sont scientifiques que parce qu’elles sont en réalité falsifiables, révisables. Dépendant d’un consensus entre les scientifiques, elles sont inscrites dans un contexte culturel.
Nos croyances sont donc en droit, comme en fait, révisables, pour autant que nous restons ouverts au dialogue et que nous gardons un esprit critique. La contradiction, c’est que par ailleurs, nous avons un besoin d’absolu et de certitude qui ne peut pas se contenter de ce flottement relatif de la croyance. En tant qu’être humain, nous avons besoin de croire, de croire que le monde est bien ainsi et pas autrement, que notre vie a bien un sens si nous agissons correctement, qu’il y a des repères moraux, des valeurs indiscutables. Le mental a besoin de mettre de la cohérence dans tous les aspects de la vie, c’est sa seule manière de pouvoir l’organiser à sa façon. Comme il n’y parvient pas avec des convictions bien assurées, dans toutes les avenues de la connaissance, il est porté à combler le reste avec des croyances. Même l’athée et le sceptique croient en quelque chose. On ne peut pas diviser le monde en croyants ou incroyants, et il est encore plus absurde d’imaginer que du côté des croyants, il y a uniquement la foi et du côté des incroyants, il y a uniquement la science. Non, dans le monde humain se rencontrent que des plus ou moins croyants et c’est tout.
Ce qui importe, c’est que nous soyons conscients de la croyance en nous. Ce qui fait problème, c’est que beaucoup de nos croyances sont encore à l’état non-réfléchi. Cela ne les empêche pas de jouer un rôle immense. Si A croit qu’il n’a aucune valeur personnelle, sa croyance ne va pas rester à l’état de formule en l’air. Je deviens ce que je crois. A sera déprimé et il n’aura plus envie d’entreprendre quoi que ce soit. Le cercle vicieux en l’affaire, c’est qu’alors justement, s’il est déprimé et ne fait rien, il en viendra invariablement à croire qu’il ne vaut rien ! La croyance construit toujours – et cela quelle que soit la croyance. Nous devrions donc exercer toute notre lucidité à l ‘égard de nos croyances. Il y a des croyances injustes (comme celles qui conduisent au racisme), il y a des croyances dangereuses (comme celles qui mènent droit au fanatisme). Il y a des croyances qui confinent à la démence (comme celles qui relèvent d’un délire politico-religieux paranoïaque). Il y a des croyances qui donnent une confiance excessive (comme la croyance aveugle dans le pouvoir de rédemption par la technologie et de la science).
Tout est donc dans la discrimination entre raison et faiblesse. Tant que l’on reste du côté de l’objet, c’est-à-dire dans l’ordre de la représentation, il est possible de faire des distinctions simples, par exemple comme Kant, de séparer les objets connaissables en objets d’opinion, objets de l’ordre des faits et objets de croyance. « Admettre des habitants raisonnables dans les autres planètes, c’est une affaire d’opinion ; en effet, si nous pouvions nous en rapprocher, ce qui est en soi possible, nous pourrions décider par expérience s’ils existent ou non ». Dans la seconde catégorie tombe tout ce que la raison est capable de prouver, soit de manière démonstrative, comme c’est le cas dans le domaine des mathématiques, soit en recourant à une forme d’expérimentation, comme c’est le cas en physique. En histoire les témoignages convergents jouent un rôle semblable. Enfin, Kant range dans la catégorie des objets de la croyance, ce qui est nécessaire d’un point de vue moral de supposer, même si par ailleurs, la preuve nous manque. Kant voit dans la liberté une Idée de la raison. Il va jusqu’à estimer que de ce point de vue l’immortalité de l’âme est aussi une Idée nécessaire à la morale. Dans la Critique de la raison pure, Kant a une formule surprenante à cet égard, disant "j’ai dû abolir le savoir et lui substituer la croyance".
C’est une position très décalée dans notre monde actuel, ce n’est pas du tout ce que notre époque favorise. Dans la culture intellectuelle qui est la nôtre en Occident, nous sommes progressivement sortis de la croyance, par la porte de la critique systématique, sur le terrain vague de l’indifférence. Nous vivons dans la représentation d’un monde sans Dieu, où la morale s’est elle-même débarrassée de la caution de la croyance, des sanctions et des interdits religieux. L’explosion des moyens de communication et d'information laisse libre cours à la critique systématique de l’autorité. Du plus, le commentaire critique de la subjectivité, a tendu comme un miroir à notre époque. L’intellectuel d’aujourd’hui se poserait plutôt la question de savoir à quoi on peut encore croire, plutôt que de se demander si c'est une faiblesse de croire. Nous avons tellement critiqué, analysé, les pratiques sociales, les utopies en tout genre, les formes déviantes de religion, les cultes, nous sommes devenus tellement méfiants vis-à-vis de toute forme de communauté dite « spirituelle » que nous ne croyons plus en rien. Nous n’avons laissé debout que la liberté de la critique, sans objet. Le scepticisme désabusé ou l’indifférence sont les marques de notre temps. La réflexivité critique est si caustique dans notre culture qu’il est devenu très difficile de "croire" au premier degré. Dans un monde qui cultive très largement la dérision, la croyance est devenue en tant qu’attitude, dérisoire. Il nous faut donc la regarder sous un angle extérieur pour lui trouver du sens : l’angle historique de l’histoire des religions, la curiosité culturelle de l’exotisme, l’angle de l’imaginaire du mythe.
Cela ne veut certainement pas dire que le besoin de croire ait disparu, bien au contraire. Il a trouvé refuge en dehors de la religion, en dehors de la science, dans les productions d’une culture new age qui n'est pas la culture universitaire. Nos librairies sont pleines d’ouvrages sur la magie, la communication avec les anges, les horoscopes, les prophéties etc. N’allons pas non plus dire trop vite que le besoin de croire a trouvé refuge dans la philosophie. Ce n’est pas vrai. C’est la liberté de penser qui a pris refuge en philosophie. Ce qui est neuf c’est que notre temps s’est détourné des credo et ne prend la croyance que comme une dimension de l’intériorité, celle de la confiance. Nous voyons dans la spiritualité une démarche personnelle qui est un choix et une attitude de vie, tandis que dans l’ancienne croyance, on pouvait adhérer à un dogme, on prétendait avoir trouvé la Vérité dans la foi et le prosélytisme était de mise. La nécessité de mesurer nos croyances est là comme avant, mais leurs formes ont changé.
Conclusion :
Tout être humain vit avec des croyances. Il y a des croyances périphériques que l’on serait prêt à lâcher, il y a des croyances centrales que l’on ne voudrait pas lâcher. L’appropriation de la croyance joue un rôle dans l’identité personnelle, dans la construction du moi. C’est l’ego qui a besoin de se rassurer avec des croyances. La croyance sous la forme de croyance-opinion joue un rôle sur la scène de la recherche de la vérité. Le savoir objectif lui-même n’existe pas de façon absolue, il est lié à un système de croyances qui sont celles de la science.
Toute la question, c’est de savoir examiner nos croyances et surtout en prendre conscience sans se laisser abuser par abus de faiblesse. Il est indispensable de comprendre à quel point la croyance est une puissance qui construit, joue un rôle psychologique important. Qu’il y ait un besoin vital de croire ne veut pas dire que l’on doive le satisfaire avec n’importe quoi. L’intelligence n’est pas donnée à l’homme seulement pour faire des calculs, dominer le monde ou pour écrire des livres savants et incompréhensibles au commun des mortels. L’intelligence est là pour éclairer et pour éclairer la croyance. C’est la compréhension vraie qui seule peut nous délivrer du fanatisme,de la superstition et rompre définitivement avec la faiblesse.
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